
TRANSMISSIONS
Recueil de nouvelles
Lu par Marie-Hélène REMACLE
La discrète Marie-Hélène Remacle est une actrice belge dont le talent s’exprime sur scène dans de nombreux registres.
Vous trouverez ci-dessous des liens pour mieux la connaître :
https://www.bellone.be/F/persondetail.asp?IDfichier=1693366
https://www.facebook.com/mariehelene.remacle/?locale=fr_FR
Ils m’ont tant aimée (texte)
Ils m’ont tant aimée
Je suis née en 1960 à Wolfsburg. Arrivée en France avec quelques-unes de mes sœurs, j’ai été exposée dans une belle vitrine toute neuve, à Paris, avenue de Suffren. Rien ne m’avait préparée à mon histoire avec Henri. J’étais parfaitement mise en valeur sur un podium tournant. Bleue clair, bardée de chromes rutilants et équipée d’un toit ouvrable, j’avais fière allure. Henri, qui souhaitait depuis quelques temps s’offrir sa première voiture neuve passa par hasard devant la vitrine. Ce fut le coup de foudre. Le concessionnaire, lui proposa de me préparer pour le soir même. Nous étions au printemps et notre premier week-end fut parfait. Mon volant cranté bien en mains, Henri avait en un instant reculé le siège pour faire de la place à ses grandes jambes, puis ajusté le rétroviseur. Il prit la route de la campagne après avoir étudié l’itinéraire sur une carte Michelin.
Un groupe d’amis nous attendait dans une grande maison au bord d’une rivière. J’ignore ce qui s’est passé dans cette belle maison, mais au retour nous étions trois. Suzanne est entrée dans la vie d’Henri juste après moi. Nous vécûmes de belles années. Jusqu’en 1964. L’arrivée d’un premier, puis d’un second enfant dans la vie de ce jeune couple eut raison de notre relation. Il faut dire que mon coffre avait beau être grand, il n’était pas conçu pour transporter les bagages d’une famille de quatre personnes. Le jeune frère de Suzanne devint mon nouveau propriétaire. Il avait tout juste vingt-cinq ans et ne concevait les déplacements en voiture que comme des exercices sportifs et virils destinés à séduire les filles. Pour stabiliser mon train avant, jugé un peu trop léger, il avait placé un grand sac de sable dans mon coffre. Cette sécurité lui donnant l’impression que rien ne pouvait lui arriver, il me conduisait vite, trop vite. Plusieurs fois, il me fit faire quelques acrobaties sur la route. Les filles n’étaient pas du tout séduites par ces exploits et il en conclut que j’en était la cause. Il se dit qu’un véhicule plus sportif lui permettrait de draguer plus efficacement. J’étais vraiment heureuse de ne plus participer à ce petit jeu. Il fit donc paraître une petite annonce pour me vendre, et c’est ainsi qu’en 1966, je fis la connaissance de Françoise.
Elle vivait à la campagne et avait besoin d’une voiture pour aller tous les jours à l’hôpital où elle était orthophoniste. Eté comme hiver, j’ai donc accompagné Françoise sur le chemin de son travail. Elle avait fait installer un autoradio et tous nos trajets se faisaient en musique. Quel plaisir d’écouter les Beatles ou Brassens entre deux chansons de Johnny. En 1968, alors que la plupart de mes sœurs étaient rebaptisées « Choupette » et se voyait recouvertes de bandes bleues et rouges et du fameux numéros « 53 », Françoise demanda à des amis de peindre sur ma carrosserie des fleurs de toutes tailles et toutes couleurs. Nous partions dans les champs deux ou trois jours, parfois une semaine, enivrés par les odeurs mêlées de fleurs et autres végétaux. Je n’ai pas de souvenirs précis de ce qui s’est passé sur ma banquette arrière, mais il me semble qu’à cette période je suis souvent passée de mains en mains. Trop souvent. Quoi qu’il en soit, tout a une fin, Françoise me céda à Marc après m’avoir perdue au poker !
Quel calme avec Marc. Il me fit entièrement nettoyer et repeindre d’un blanc crème très élégant qui est encore ma couleur aujourd’hui. Il possédait une voiture de fonction qu’il utilisait la semaine et moi, je n’étais là que pour le plaisir. Voyages, sorties et promenades. On a passé ensemble de délicieux moments. Quand il eut quelques problèmes financiers, Marc décida de me louer à des particuliers pour des mariages. Il faut dire que le toit découvrable permettait de belles photos et que ma nouvelle robe se mariait bien aux tenues des époux. C’est lors d’une fête en Normandie que Charlotte proposa à Marc de m’acheter.
Elle venait de créer une petite entreprise dans l’évènementiel, ce qui était encore rare en 1972, et comme mes sœurs envahissaient les écrans publicitaires, la demande de « Coccinelles » était forte. Ma bouille s’afficha alors partout. Publicité, reportages, documentaires, salons divers et variés. On me pomponnait, mes chromes brillaient. On lavait même mes pneus. Cela dura trois ans jusqu’à ce que Charlotte me cède à un photographe qu’elle n’avait plus les moyens de payer. La demoiselle confondait chiffre d’affaires et bénéfice, ce qui n’était pas du goût de l’administration fiscale.
Lassé du monde de la pub, mon photographe profita de l’aubaine pour se lancer dans le reportage de voyages destinés aux guides de tourisme. Maurice aimait l’idée de se déplacer avec tout son matériel devant lui dans le coffre. C’est ainsi que nous nous retrouvâmes en Allemagne, où je n’avais jamais remis les roues. Puis il décida de poursuivre plus à l’est. Aller en Pologne en voiture en 1976 depuis Paris, relevait de l’aventure et nous ne passions pas inaperçus. J’ai même été volée sur le parking d’un hôtel en Tchécoslovaquie, mais très vite retrouvée par une police à la fois efficace et surtout soucieuse de ne pas avoir à régler le problème du rapatriement de Maurice. La suite de ce long périple se passa sans problème majeur. Il fallut juste remplacer mon échappement à Thessalonique sur la route d’Athènes. Le son produit par mon moteur en fut modifié et Marc disait en riant que j’avais pris l’accent grec. Ensuite les affaires de Maurice prirent un tel élan qu’il voyagea souvent en avion et m’abandonna petit à petit. Il me retrouva un jour avec un gros paquet de contraventions pour stationnements impayés et décida de me vendre.
De 1980 à 1987, je fis le bonheur d’une mamie un peu fantasque qui ne se séparait jamais de son perroquet. Coco m’adorait et était persuadé de communiquer avec moi en imitant mon klaxon à la perfection. Combien de fois Joséphine dut expliquer aux agents qu’elle n’avait pas usé de son avertisseur en ville ? Coco attendait que le policier commence à s’énerver pour lancer un « C’est moi ! », heureusement très convaincant. Joséphine n’était pas très soucieuse des règles du code de la route et sa conduite peu rigoureuse m’a fait passer quelques séjours chez le carrossier.
Ce fut une chance pour moi car celui-ci avait toujours rêvé de posséder une Coccinelle. Il jura de prendre soin de moi comme de sa propre voiture. C’est donc avec cette idée derrière la tête qu’il proposa à Joséphine une voiture à boite automatique plus moderne et, partant, plus sûre.
Je me retrouvais dans la cour de ce garagiste qui avait plus de rêves que de temps libre. Il acheta toutes les pièces qui selon lui allaient être nécessaires pour me rendre mon lustre d’antan, puis m’oublia sous une bâche durant…20 ans.
C’est là que Pascal me découvrit en 2007. Il n’eut pas grand mal à convaincre le garagiste de la lui céder. Pascal était encore très occupé à cette époque mais il trouva le temps durant ses congés et parfois même certains week-ends pour me réparer et me préparer à ma nouvelle vie. Nous sortions ensemble pour aller dans toute la France à des rassemblements de véhicules anciens dont certains regroupaient uniquement des Coccinelles de toutes époques. Je découvris qu’il existait des modèles cabriolets, d’autres qui avaient fait, dit-on, des rallyes et portent encore les traces de leurs exploits passés, des versions luxe avec du cuir partout et des chromes étincelants. Nous en avons croisées qui étaient transformées en sonos géantes, bardées de haut-parleurs bruyants, mais aujourd’hui, les plus recherchées restent celles qui sont entièrement d’origine, les plus simples, les plus authentiques. Comme moi !
Cela fait donc presque quinze ans que je coule des jours heureux auprès de Pascal. Je sais qu’entre nous c’est du sérieux. Je me souviendrai toujours de l’avoir entendu appeler son père, Henri, quand il me découvrit, pour lui dire : « Papa, je viens enfin de trouver une Coccinelle de 1960 exactement comme la tienne, il y a juste une différence, celle-ci est blanc crème.»
Lu par François ROSTAIN
François ROSTAIN
Comédien, maître d’armes diplômé d’État, chorégraphe de combats, il enseigne l’escrime et le combat de spectacle au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de 1987 à 2022.
Depuis 1986 il chorégraphie les combats à la Comédie-Française, avec les metteurs en scène les plus prestigieux. L’Opéra a fait également appel à ses services, en particulier le Châtelet, l’Opéra Comique et San Francisco Opera.
Au cinéma il a été dirigé par Woody Allen dans Midnight in Paris ou Antoine Barraud pour Madeleine Collins (Père de Virginie Efira) Plus d’infos sur les films et pièces où il a joué : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Rostain
Il anime la célèbre salle « La Salle d’Armes où il enseigne l’art du combat, du duel, de l’illusion.
https://lasalledarmes.com/
Mais qui est Pedro ? (texte)
Nuit noire. Seule une lumière émise par la torche d’un smartphone brille sur le parking de la résidence. Deux silhouettes s’approchent d’une BMW X6 sombre. La lampe éclaire maintenant l’habitacle, tandis que l’une des silhouettes passe sous la voiture. Le moteur se met en route, les portières avant s’ouvrent, les deux ombres se glissent à l’intérieur du véhicule, claquent les portes et démarrent en trombe. Il a fallu deux minutes et vingt secondes à ces deux voleurs pour s’emparer de leur précieux butin. Ils doivent le livrer à Barcelone avant midi. Six heures de route depuis Bordeaux, c’est jouable. Surtout ne pas se faire flasher. Rester le plus discret possible. « Efficace, mais discret » C’est la devise du patron. On ne discute pas avec Pedro. On lui obéit.
Il y a très peu de circulation sur l’autoroute faiblement éclairée par une pleine lune presque rousse. Les quelques camions qui font la route de l’Espagne vers l’Italie roulent sagement sur la voie de droite. Seules quelques rares bourrasques de burle viennent perturber des conditions idéales. C’est dans ce calme relatif, cette sérénité approximative que le plus âgé, le chef, s’exprima en premier :
– Alors, ça t’a plu ?
– Deux minutes vingt pour tirer une X6 c’est vraiment trop fort !
– Tu oublies le temps qu’il m’a fallu pour neutraliser le portail et pour le refermer… discrètement. Lui répondit son comparse.
– Ouais tu parles. Avec une télécommande, tu trouves ça difficile ?
– Une télécommande qu’il a fallu programmer après deux jours de planque dans le coin. Ouais, je trouve ça difficile.
– Bon ça va. Moi je trouve que ça a été facile.
– Trop facile peut-être. Je me souviens qu’à mes débuts c’était autrement plus compliqué de « tirer une caisse », comme tu dis. Maintenant c’est technologique, informatique. Avant c’était artisanal, voire artistique. Ouvrir une 911 avec un ceintre et la faire démarrer avec deux pinces et un tournevis, ça exigeait du doigté, de l’élégance. Surtout que ce genre de bagnole, tu devais la livrer nickel. Pas question de la rayer ou de casser une poignée. A la rigueur, il fallait un peu brusquer le neiman, mais j’en avais toujours un stock d’avance avec des clefs neuves. Au cas où. C’est en partie pour ça que je m’étais spécialisé dans les Porsche. Mais surtout, y avait un marché pour l’occasion… disons « bon marché ». J’avais un pote qui faisait les cartes grises plus vraies que nature. T’aurais vu ça. C’était du boulot d’orfèvre. Il était cher, mais hyper pro. Bon maintenant les Porsche, c’est comme les autres. N’importe quel imbécile avec le matos informatique part avec. C’est à vous dégouter du métier.
– Mais tu t’es jamais fait choper ?
– Si une fois. En Allemagne. C’était à Stuttgart, la Mecque des Mercedes, si j’ose dire. On avait une commande pour un SLK 32 AMG bleue marine. Deux semaines de planque. Une petite équipe de trois spécialistes, dont un Allemand qui ne parlait pas un mot de Français. On avait fini par trouver un SLK conforme à ce que le client, riche et pressé, voulait. Notre cible appartenait à un joueur de foot du VfB qui venait de la recevoir en dotation de sponsoring. Il habitait dans la banlieue ; une villa ultra sécurisée entourée de murs de trois mètres.
On se décida donc pour un vol sur le parking du club en plein jour. On devait beaucoup préparer le coup puis agir vite. Notre complice Allemand nous avait trouvé des tenues du club avec le logo Mercedes Benz Bank. Je portais une perruque « nuque longue » pour ressembler le plus possible au propriétaire légitime de l’auto. Je devais l’ouvrir, la faire démarrer et la conduire avec un air détaché, le regard limite bovin, genre footballeur. Mon pote Jean-Luc, paix à son âme, devait distraire le gardien en se faisant passer pour un fan de l’équipe. Malheureusement le gardien parlait un Allemand fortement teinté de Souabe, dont Jean-Luc ignorait jusqu’à l’existence. Il faut savoir qu’à cette époque ce dialecte local était encore très parlé à Stuttgart. Le gardien comprit immédiatement que quelque chose ne tournait pas rond et abaissa la barrière. On a laché le coup ! Le contrat précisait « carrosserie impeccable », et puis de toute façon, j’aimais trop cette caisse pour la massacrer sur une barrière. On a tenté de s’enfuir en courant mais les flics passaient juste à ce moment-là et on s’est retrouvés en cabane.
– Tous les trois ?
– Non. L’Allemand avait déjà quitté les lieux pour nous attendre devant la gare. Il a attendu longtemps. Six mois exactement. On ne rigole pas avec les Mercedes à Stuttgart !
– Et depuis tu t’es jamais fait gauler ?
– Non, une fois c’est déjà trop, même si les prisons allemandes sont plutôt confortables, ça fait tache sur un CV.
– Et ton coup préféré, c’est quoi ?
– Je vais te raconter. C’était en 2004 en Italie. On avait appris qu’un chargement de voitures de collections devaient aller à Immola pour un rassemblement de véhicules historiques. Les mecs ont beau avoir du pognon, ils aiment bien faire de petites économies en groupant le transport. On nous avait dit qu’il y avait trois Porsche 656, deux Jaguar Type E, une verte et une crème cabriolet, une Aston Martin DB 5 et deux Ford GT, dont une qui avait couru au Mans. On a commencé à filer le camion à la sortie de Nice. Il n’y avait que deux stations-services assez grandes pour ce type de chargement sur le parcours et il fallait forcément qu’il s’arrête pour faire le plein. On avait placé un tracteur dans chacune des stations avec trois gars prêts à agir. Par chance, il s’est arrêté dans la première. Pendant qu’il est allé pisser on a transféré sa remorque sur notre tracteur et on est passé derrière la station pour monter une bâche de transport bulgare pour cacher le chargement. Quand il est sorti, il a tout de suite pigé qu’il allait se retrouver au chômage. On est passé tranquillement devant lui. Il faisait du stop pour partir à la poursuite de sa remorque envolée. On était déjà trois dans la cabine. On n’a pas pu le prendre ! Ce n’était pas son jour de chance. Arrivés à la station suivante on a renouvelé l’opération avec le second tracteur et une nouvelle bâche, croate cette fois. Ni vu, ni connu. On a tout livré à un collectionneur autrichien avant la nuit.
– Et notre X6, tu sais ce qu’elle va devenir ?
– Aucune idée. Peut-être pour des « go fast », mais de toute façon j’veux pas savoir. C’est mon dernier coup. La semaine prochaine je pars rejoindre ma légitime à Mougin. J’ai déjà averti Pedro. Tu le connais, toi, Pedro ?
– Non je ne l’ai jamais vu. Mais dis-moi, Pedro c’est pas son vrai nom ? Hein ?
– J’en sais rien, mais ça m’étonnerait. J’sais même pas si il existe. Mais arrête-toi à la prochaine station, je vais te laisser le volant.
Nos deux comparses s’arrêtent. Passent aux toilettes. Changent de place et repartent. Le chef n’a pas pu voir le petit texto envoyé par son complice pendant qu’il soulageait sa vessie.
Arrivés au péage du Boulou, dernière « barrière » avant la frontière, le passager, un peu assoupi par la conduite molle de son chauffeur sentit que quelque chose ne se passait pas comme prévu ; au lieu de prendre la file la plus à gauche, la BMW est allée tout à droite. A droite, où les attendaient une bonne dizaine de policiers, gendarmes et autres individus en uniformes et en civil.
– Messieurs, veuillez couper le contact. Vos papiers s’il vous plaît. Non, pas vous capitaine. Oui, vous, là. Vous êtes bien Pedro, n’est-ce pas ? Vous êtes en état d’arrestation. Quant à vous capitaine, félicitations, joli coup. Bravo !








