
TRANSMISSIONS
Recueil de nouvelles
Lu par Michelangelo MARCHESE
Michelangelo MARCHESE
Michelangelo Marchese est acteur, réalisateur et metteur en scène.
Il est présent sur la scène théâtrale belge depuis 1993 où il aborde des textes classiques et contemporains.
Il est actuellement sur scène au Théâtre Le Public à Bruxelles dans la pièce « Le Moche » de Marius Von Mayenburg qu’il a co-mise en scène avec Valérie Lemaître.
Il reçoit le prix du théâtre en 2011, meilleur acteur pour son interprétation du Commandant
dans la pièce de Juan Mayorga, « Himmelweg », mise en scène par Jasmina Douieb.
Il joue également pour le cinéma et la télévision. Il interprétera le premier rôle masculin
dans la série « Arcanes » de Michèle Jacob, en tournage au printemps 2024.
C’était écrit (texte)
Xavier était un adolescent passionné par les sports mécanique. Il passait ses week-ends à suivre des courses de côte, des spectacles de cascade et des épreuves d’auto-cross. On lui confiait parfois une table de marquage pour compter les tours. Il était fier de cette responsabilité et avait le sentiment, encore confus, d’avoir sa place dans ce milieu fermé du sport-auto. Cela créait une sorte d’intimité avec un concurrent dont il ne connaissait que le numéro.
Un dimanche, il assista à une épreuve de stock-car. Un agriculteur avait mis à la disposition des organisateurs, un terrain disponible durant l’hiver. On y avait tracé une piste en huit pour favoriser les accrochages. Du rubalise, rouge et blanc, fixé à quelques piquets de bois enfoncés dans la boue, contenait les spectateurs. Les concurrents avaient préparé pour l’occasion des véhicules tous plus improbables les uns que les autres. Les vitres étaient enlevés, un assemblage de tubes soudés sécurisaient l’habitacle et un numéro était peint à la bombe sur les portes et le toit. Sommaire, mais efficace. Dans cet antichambre de la casse, il y avait des Renault 16, des Simca 1000, des Renault 8, des Ford Escort, des Opel Ascona et même une DS dont le toit sauta au premier accrochage. Les tours s’enchaînaient dans un mélange de bruit de moteur et de chocs. La foule s’enthousiasmait pour un concurrent qui entamait, en marche arrière, un tour hésitant, au milieu de ses concurrents lancés aussi vite que leurs voitures le permettaient. Parfois, des moteurs rendaient l’âmes et les mécanos s’affairaient à leur chevet pour leur donner un nouveau souffle.
Le speaker annonça une prime de cinquante francs, offerts par le charcutier du coin, à celui qui ferait le premier tonneau. Un concurrent, au volant d’une R 16 verte cabossée de toutes parts, voulut prendre son élan sur une bordure légèrement relevé pour amorcer son tonneau. Au moment de donner le brusque coup de volant qui allait lui permettre de retourner son auto, une Ford arriva à pleine vitesse par l’arrière et le projeta hors de la piste. La voiture retomba par miracle sur ses roues, dans un espace dégagé. Mais à peine eût-elle été arrêtée que le réservoir s’enflamma. Le pilote eût toutes les peines du monde à sortir du brasier. Lorsqu’il y parvint enfin, il se roula dans la boue pour éteindre le feu et fut conduit à l’hôpital voisin pour y être soigné. Xavier qui n’avait rien manqué de l’accident, enfourcha sa mobylette et suivit l’infortuné pilote jusqu’au service des urgences. C’est là qu’il apprit son transfert au service des grands brûlés.
Le lundi matin, Madame Touron, sa professeur de Français demanda à la classe de faire un exercice de rédaction sur le thème bien connu : « Racontez votre week-end » Il rédigea un texte de quatre pages, plein de bruits de moteurs, de couleurs, d’accrochages, d’odeurs d’huile de vidange et bien sûr d’émotions avec l’accident du malheureux concurrent de la R16 verte. Il obtint une excellente note et sa prof lui demanda de rester un moment après le cours. Elle lui dit que son mari, qui était journaliste, avait beaucoup aimé son texte. Il n’en fallut pas plus à Xavier pour décider qu’il deviendrait lui-même reporter.
Après ses études à l’ESJ de Lille, il regagna la région lyonnaise. Il intégra la rubrique « Sports » du Progrès de Lyon et couvrit de nombreuses manifestations locales comme le Grand Prix de motocross de Rochefolles à Tarare, la course de côte de Limonest Mont-Verdun et bien sûr le Rallye Lyon-Charbonnière, que les fans appellent le « Charbo ».
L’année de la victoire historique des sœurs Courcelle au Dakar, on lui confiât un reportage au long court pour couvrir les exploits des pilotes locaux. Dix motards Rhône-Alpins étaient engagés sur les premières Honda Africa Twin. Xavier allait partager avec eux une aventure hors du commun. Il avait proposé à son rédacteur en chef un angle particulier pour informer les lecteurs ; aucun pilote n’avait cette année-là d’équipe assez importante pour espérer gagner la course. Ils décidèrent donc de mutualiser leurs sponsors et de jouer la carte de la solidarité. Xavier fit un reportage plein d’humanité sur ces liens entre concurrents qui ne briguaient pas les premières places, mais rêvaient d’arriver ensemble au Lac Rose à Dakar. Ils franchirent heureux la ligne d’arrivée main dans la main, offrant ainsi à Xavier un reportage qui allait faire le tour du monde.
L’Equipe avait beaucoup aimé l’angle choisi par Xavier et on lui proposa une rubrique dans le nouveau complément du week-end. Il y publia de nombreux articles consacrés aux stars des pistes et du rallye ; Henri Pescarolo, Jean-Pierre Beltoise, Jackie Stewart, Gérard Larrousse, Jean-Pierre Jabouille… Il y parlait de leurs passions, leurs familles, leurs vies. Il donnait la parole pour la première fois à leurs mécanos, leurs kinés, leurs fans qui les accompagnaient partout dans le monde.
Devenu un spécialiste reconnu des sports mécaniques, il fit le choix de suivre un championnat par saison ; Formule 1, WRC, Moto GP, courses sur glace, rallye-raid et même karting, puisque c’est là qu’on détecte les futures stars de la course. Il vivait dans les paddocks, dormait dans les avions et se sentait toujours en vacances. Un jour, alors qu’il assistait à une course de karting en Normandie, une jeune fille, lui demanda ce qu’il écrivait sur son grand cahier à spirale. Il lui répondit que c’était sur un cahier comme celui-ci qu’il avait toujours pris ses notes avant d’écrire ses articles et ajouta que cela permettait de prendre le temps de réfléchir, de noter de nombreux détails et parfois de faire un petit dessin pour préciser une impression.
Xavier avait un cahier en réserve, il l’offrit à cette enfant, qui le soir même commença à y raconter sa journée, passée au bord de la piste, pour ce qui allait devenir son premier reportage.
Lu par Laura DOMENGE
Laura DOMENGE
Laura Domenge a commencé le théâtre professionnellement à l’âge de 10 ans dans la compagnie « les Sales Gosses ».
Post Bac elle se forme à l’école Charles Dullin et au Conservatoire d’art dramatique du 5ème arrondissement de Paris. Parallèlement à ses activités de comédienne, qu’elle juge trop limitante dans la typologie des rôles qu’on lui propose, un de ces anciens profs de théâtre, admiratif de son talent et sa facilité pour créer et interpréter des personnages, l’encourage à écrire son propre spectacle afin de s’offrir elle-même les rôles qui lui conviennent. Ensemble ils se lancent dans l’écriture de son one woman Show En PersonneS qui deviendra plus tard PasSages. Le spectacle est encensé par la critique, « Une étoile est née » dit le Figaro
« Un spectacle cinglant qui traite de la femme telle qu’elle a envie d’être. Drôle et vraie » Kobini
Pour le Parisien c’est « un coup de coeur »
En 2017 Elle apparait aux côtés de Marina Rollman, Fadily Camara, Camille Lellouche, Tania Dutel et Melha Bedia dans Vanity Fair comme dans la sélection des nouveaux visages de l’humour porté par des femmes.
Son premier spectacle rencontre son public au Point Virgule, Au Palais des Glaces, au Lucernaire et un peu partout en France.
Certains extraits de ce dernier sont visibles dans le Teva Comedy show où au Jamel Comedy Club dans lequel elle fait un passage remarqué.
Parallèlement, Elle se fait remarquer dans les vidéos de Lolywood sur youtube, et celles de Topito dans lesquelles elle tourne entre 2015 et 2020, qui demeurent encore aujourd’hui des sketchs cultes aimées par plusieurs dizaines de millions de personnes.
Elle s’investit avec humour pour la cause des femmes sur le média Wondher au travers son programme court nommé Allo La Vie qui comptabilise plusieurs centaines de milliers de vues.
Artiste polyvalente et engagée, Elle est membre fondatrice de l’association Le Recho, qui tisse du lien entre les populations réfugiées et locales au moyen de la cuisine.
En 2019 elle commence l’écriture de son nouveau spectacle qui est pour elle l’œuvre de la maturité.
Pour ce nouveau « bébé », elle prend résidence au Barbès comedy club et au Madame Sarfati, afin d’écrire et travailler son stand up.
Actualités sur : https://www.lauradomenge.com/
Travail en famille (texte)
TRAVAIL EN FAMILLE
– Tu fais exprès ?
– Quoi encore ?
– Ta blouse. T’en avais pas de plus petite ?
– Si ça te gêne, je peux ouvrir un ou deux boutons.
– Fais chier.
– Conduis ! Regarde la route !
Somme toute un matin ordinaire pour Antoine et Cléopâtre. Ce jeune couple vit une relation harmonieuse, construite autour du beau métier d’ambulancier. Antoine est « l’héritier » des Ambulances Hera qui transportent des malades depuis plusieurs générations et son arrière-grand-père a même été parmi les premiers à utiliser un véhicule électrique, en 1900 !
Cléopâtre, quant à elle, a toujours aimé les serpents tout en en ayant une peur bleue. Pas assez téméraire pour embrasser la noble profession d’herpétologue, elle renonça à devenir pharmacienne considérant que le vert n’était pas une couleur pour elle. En découvrant un magnifique serpent peint sur le capot d’une ambulance, elle décida que son avenir serait lié à ce serpent bleu. C’est ainsi que nos tourtereaux se sont retrouvés sur les bancs d’un centre de formation préparant au diplôme d’Etat. Elle eut un coup de foudre. Il se laissa faire, sans savoir si elle était séduite par l’homme ou par « l’héritier ». Il ne tarda pas à comprendre que les deux l’attiraient, mais décida que l’homme saurait faire oublier l’héritier.
Quoi qu’il en soit, ils travaillent aujourd’hui ensemble pour les ambulances Hera. La famille d’Antoine étant fidèle à Mercedes depuis des décennies, c’est donc au volant d’une respectable F 123 allongée de 1983, que commence cette belle journée.
La première mission consiste à transporter depuis un Ehpad, une résidente devant consulter un dentiste. Elle ne peut rester assise, le confort du brancard de la F 123 est tout indiqué. Antoine et Cléopâtre l’installent, puis Cléopâtre s’occupe de la prise en charge pendant qu’Antoine range le fauteuil de la patiente sur un côté.
Changement de véhicule ensuite pour un transport en VSL, avec une superbe Classe E. Antoine pourrait l’assurer seul. Mais nos tourtereaux ne se quittent jamais !
– Bonjour Monsieur William. Cléopâtre appelle ses clients par leur prénom. Ça agace prodigieusement Antoine, mais elle soutient que ça les rassure. Comment il va aujourd’hui ?
– Un peu mieux ma jolie. Ça va toujours bien quand je vous vois.
– On va vous conduire à votre chimio. Intervient Antoine, pressé de mettre un terme à ces marivaudages ridicules.
– T’en n’as pas un peu marre de faire du VSL ?
– Rassure-toi ma chérie. On va finir la semaine en « C » C’est la pleine lune, il va y avoir des accouchements !
– A propos…
– T’as de la suite dans les idées. Je suis d’accord, tu le sais. On en parle ce soir. Ok ?
En attendant de retourner chercher « Monsieur William » notre couple en profite pour effectuer un transfert SSR / Ehpad. Surprise totale au SSR, la patiente est prête, mais elle veut emporter trois valises immenses, un fauteuil en bois massif au revêtement passablement élimé et bien entendu son fauteuil roulant électrique. Antoine a toutes les peines du monde à convaincre son père d’envoyer un Sprinter, assez spacieux pour effectuer cette mission de… déménagement, en plus du transport sanitaire. Sans famille, cette patiente a beaucoup de chance de trouver ces ambulanciers sur sa route.
Après une pause déjeuner, il faut aller chercher « Monsieur William » pour le raccompagner chez lui et repartir illico pour un trajet de cent vingt kilomètres. Il s’agit d’un retour à domicile d’une adolescente hospitalisée après une chute d’escalade. La F 123 serait parfaite, mais la distance impose de faire le trajet en Vito.
Pour une fois qu’il n’y a pas d’urgence, l’autoroute est déserte. De toute façon il n’y a aucune raison d’aller vite. Cléopâtre a pris le volant de ce véhicule qu’elle aime beaucoup conduire. Antoine semble songeur à ses côtés.
– Cléopâtre. Ce soir je vais te faire un super cadeau !
– C’est quoi ?
– Si je te le dis, ça ne sera plus une surprise… Sois patiente pour une fois.
– Soit tu dis rien, soit tu dis tout. C’est chiant.
– Bon, ok. J’dis rien !
Et Cléopâtre se met à bouder. Elle adore les cadeaux, mais déteste les surprises. Le trajet aller est bouclé en une heure cinquante. Le service d’orthopédie et de rééducation est très bien organisé et la patiente est déjà prête. Au moment de repartir, l’ado est tellement contente de rentrer chez elle qu’elle veut s’asseoir à l’avant, mais il y a près de deux heures de route et le médecin lui explique qu’elle va devoir voyager allongée. Le brancard du Vito Heuliez est très confortable et Cléopâtre s’installe donc à côté d’elle sur le siège coulissant. La cellule est tellement insonorisée que les « passagères » ne remarquent même pas qu’Antoine a démarré. La jeune fille raconte son accident, puis son hospitalisation qui a duré trois mois, mais surtout elle parle de son excitation à l’idée de rentrer chez elle, retrouver son petit frère, ses parents et son chat qui grimpe partout, comme elle. Enfin comme elle, avant. Cléopâtre veut la rassurer en lui disant que ça va aller, qu’après les séances de rééducation, elle pourra grimper à nouveau…
Subitement, Antoine ralenti. Il avertit Cléopâtre, par l’intercom, qu’il va devoir s’arrêter. Un accident vient de se produire juste devant eux. Antoine se gare en sécurité le long de la glissière gauche, allume sa rampe clignotante bleue, les feux de détresse et demande à Cléopâtre d’alerter les secours. Elle appelle le 15, contacte les gendarmes mais veut veiller sur la patiente qui la supplie pourtant de vite aller porter secours aux victimes. Elle rejoint donc Antoine et ensemble, ils analysent la situation : deux voitures et une moto sont impliquées. Une voiture est couchée sur le côté gauche, l’autre est encastrée dans la barrière de sécurité et la moto est partie en glissade sur plusieurs mètres. Son pilote est miraculeusement sur pieds, son casque encore sur la tête. Il y a des gens qui crient, d’autres qui sortent comme ils peuvent, en rampant. Les ambulanciers aperçoivent, dans la voiture la plus proche d’eux, une personne inconsciente au volant. Ils mettent les blessés en PLS, apportent des couvertures. En moins de dix minutes les gendarmes arrivent accompagnés par deux véhicules de pompiers. Ils organisent la circulation sur la partie droite de la chaussée et les pompiers prodiguent les premiers soins. Ils n’ont malheureusement pas assez de place pour conduire toutes les victimes à l’hôpital. Ils demandent au SMUR de réquisitionner l’ambulance d’Antoine et Cléopâtre. Il va falloir confier l’adolescente aux gendarmes. Il ne lui reste que trente minutes de route, elle pourra terminer son voyage en étant assise. Un jeune appelé, tout heureux de rendre service, la prend donc en charge. Les pompiers aident Antoine et Cléopâtre à installer dans le Vito l’une des victimes de la voiture retournée. Ils repartent toutes sirène hurlante avec le feu bleu allumé. La victime a visiblement des pertes de connaissance qui nécessitent un examen à l’hôpital. Nos jeunes ambulanciers y arrivent rapidement. Ils sont attendus au service des urgences qui prend le relais.
Rentrés chez eux et après une bonne douche, voici Cléopâtre et Antoine enfin au calme dans le salon de leur petit appartement.
– Quelle journée ! Je vais appeler la petite escaladeuse pour savoir si elle est bien rentrée.
– Bonne idée. Bravo ma Cléo, tu as assuré.
– Merci mon chéri. Et alors cette surprise ?
– Tiens ! Je suis encore plus heureux de te l’offrir ce soir.
– Mais c’est trop beau. T’es dingue.
– Dingue de toi, oui !
– Un bracelet avec un serpent, j’en rêvais. Ça fait pas un peu penser au logo de ton père.
– Mais non ma belle, oublie le boulot. C’est la réplique d’un bracelet trouvé à Pompéi. Tu sais, c’était à la mode à l’époque, en hommage à Cléopâtre.
– ‘Ex Antonius Cleopatrae’ ? Qu’est-ce que ça veut dire !
– D’Antoine pour Cléopâtre.
– Antoine et Cléopâtre ? Ils ont eu des enfants ? Parce que nous, je pense que ça ne va pas tarder.








