
TRANSMISSIONS
Recueil de nouvelles
Lu par Noémie BIANCO
Noémie BIANCO
Formée au Studio d’Asnières par Jean-Louis Martin-Barbaz, Yveline Hamon et Hervé Van Der Meulen, elle démarre sa vie professionnelle en 2009 en interprétant le rôle de Maria Callas dans un monologue de Jean-Yves Picq mis en scène par Jean-Marc Avocat, qui l’a d’abord dirigée dans deux adaptations de Claudel, Partage de Midi et L’Échange.
L’année suivante, Claudia Stavisky l’engage au Théâtre des Célestins dans Lorenzaccio pour jouer Catherine Ginori et Louise Strozzi.
Elle continue sa route auprès de différentes équipes en variant les registres. Elle joue La Petite Marie dans Les Présidentes de Werner Schwab mis en scène par Karim Qayouh. Elle travaille aussi avec Sidney Ali Mehelleb dans Babacar ou l’antilope dont il est aussi l’auteur.En 2016, elle rencontre le Collectif 8, composé de Gaële Boghossian et Paulo Correia, et joue le rôle de Suzanne Simonin dans leur adaptation de La Religieuse de Diderot puis le rôle d’Euphrosine dans leur adaptation de L’île des esclaves de Marivaux.
Puis, Armand Eloi lui fait confiance pour interpréter le rôle d’Agnès dans L’école des femmes. En parallèle, elle monte et tourne un tour de chant composé de chansons originales aux côtés du guitariste Bertrand Lacy. En 2019, Daniel Benoin lui propose le rôle de Mariane aux côtés de Michel Boujenah dans L’Avare à Anthéa-théâtre d’Antibes. En 2021, elle rencontre Xavier Lemaire qui lui offre le rôle de France dans Là-bas, de l’autre côté de l’eau qu’il co-écrit avec Pierre-Olivier Scotto et met en scène, au Théâtre La Bruyère et en tournée.
En ce moment, elle travaille au théâtre des Franciscains à Béziers pour une compagnie niçoise dirigée par Mélissa Prat et tient le rôle principal de sa nouvelle création L’envers du des corps.
La route des vacances (texte)
L
LA ROUTE DES VACANCES
La porte avait claqué. Définitivement. Sergio ramassa le petit sac de sport chiffonné à ses pieds. Il alla, sans se retourner, jusqu’au petit parking à l’entrée de la cité HLM. Une pluie fine mouillait ses lunettes sans qu’il sût si les verres étaient plus mouillés à l’extérieur ou à l’intérieur, tant les larmes jusque-là retenues coulaient maintenant abondamment. Sa vieille Laguna semblait l’attendre. Ultime abri contre les agressions qui l’accablaient. Une fois au volant, il essuya ses lunettes avec son tee-shirt, et prit la route du Sud. De n’importe quel Sud. Loin. Tout de suite.
Il choisit de suivre les routes nationales. Par souci d’économie. Quand la nuit fut bien avancée, il se résolut à faire une pause. Les évènements de la journée, le départ précipité et il faut bien le dire, l’heure tardive avaient raison de sa vigilance. Le parking d’un relais routier fit l’affaire pour cette première nuit. Le réveil fut douloureux. Que faisait-il là ? Dans sa voiture ? Où était-il garé ? Il ouvrit la portière et sentit immédiatement le froid vif du petit matin. Il n’avait vraiment pas chaud dans sa voiture, mais c’était encore pire dehors. Par réflexe il referma la portière et fut brusquement saisi par l’odeur infecte de l’habitacle. Il regarda partout, cherchant d’où cela pouvait venir avant de réaliser que ça venait de lui. Un maelström de questions et de sensations se bousculaient dans son esprit. Il attrapa son sac de sport et se dirigea vers le relais routier. La patronne, une solide femme que la retraite aurait dû depuis longtemps envoyer chez elle, le vit arriver de loin et bien campée derrière son comptoir, lui indiqua les douches d’un geste péremptoire. Il ne se fit pas prier. Un fois lavé et changé, il s’installa à une table.
– Il y a longtemps que vous faites la route ?
– Non ! Pourquoi vous dites ça ? Je pars en vacances dans le Sud. Un café et un croissant s’il vous plait.
Sergio n’avait pas encore bien réalisé la situation. Il lui faudrait un peu de temps. Peut-être beaucoup de temps. Lorsque la Laguna s’engagea sur la nationale, Sergio avait décidé que tout allait bien. Était-ce la douche, le croissant frais ou l’énergie bienveillante de la patronne du relais ? Il s’en moquait. Pour lui seul comptait l’avenir. Et il était devant lui, au Sud !
Vers quatorze heures, son croissant du matin bien digéré, il réalisa qu’il fallait trouver quelque chose à manger. Il devenait urgent de faire une pause. Il était concentré sur l’indicateur de la température moteur de la Laguna qui approchait dangereusement de la zone rouge. Sergio savait que sa voiture chauffait et que cela faisait des mois que la révision était repoussée, faute d’argent. Sylvie lui disait bien que l’argent des cigarettes pouvait facilement payer la révision, mais il ne parvenait pas à se limiter. Et puis, pourquoi Sylvie n’économisait-elle pas sur les vernis à ongles ou la teinture des cheveux ? C’était sans solution. De toute façon, dans l’urgence, il valait mieux remettre de l’eau dans le réservoir. Sergio s’arrêta sur un parking de grande surface pour acheter du liquide de refroidissement, il prit aussi un sandwich et un pack de bières bon marché.
La Laguna avait largement dépassé les deux cent cinquante mille kilomètres, ce qui pour un diesel de 2005 était assez normal. Sergio venait d’en hériter de son père. Une Laguna pour tout héritage, c’était peu, mais au moins il n’avait pas eu à assumer les dettes. Le notaire l’avait rassuré en lui disant que la vente d’un petit terrain frappé d’alignement en banlieue les couvrirait. Une fois le moteur bien refroidi, Sergio refit le niveau de liquide de refroidissement et prit la route. Il se perdit un peu dans la zone commerciale, mais finit par retrouver son chemin.
Il venait de quitter l’agglomération quand il vit au bord de la route une femme faisant de l’autostop. Il s’arrêta à sa hauteur et lui proposa de l’accompagner. Elle allait elle aussi vers le sud, vers une exploitation agricole où on l’attendait comme saisonnière pour cueillir des pommes. Sergio fut surpris par son sac à dos qui lui ressemblait ; il débordait de partout, il était fermé par une grosse ficelle, mais il était très coloré et il y avait même un bouquet de fleurs des champs qui sortait d’une poche. Elle lui dit qu’elle s’appelait Francine et qu’elle était très heureuse de pouvoir faire le trajet avec lui. Sergio était un taiseux mais la soudaineté de cette rencontre, la compagnie de cette femme, et une timidité maladive le faisaient parler sans retenue, très vite et un peu fort. Francine s’en amusait. Elle avait déjà rencontré beaucoup d’hommes et heureusement pour Sergio, elle avait depuis longtemps renoncé à les manipuler. Au contraire, devinant sa situation, elle lui proposa de tenter sa chance comme saisonnier. La récolte était abondante et il y aurait sûrement du travail pour lui. Il accepta.
Ça ne se passa pas tout à fait comme prévu car Sergio était très inquiet lorsqu’il perdait de vue sa Laguna. Elle était son seul bien avec le petit sac de sport bien dissimulé sous un siège. Cela l’empêchait de travailler avec l’attention nécessaire. Malgré les conseils bienveillants de Francine, il cueillait des pommes trop petites, renversait son panier et ne comprenait pas que la cigarette devait rester éteinte dans sa poche et non fumante à ses lèvres. Le troisième jour le paysan le congédia en lui donnant un peu plus que la paye et un sac de cinq kilos de pommes « hors calibre »
Sergio reprit la route, très content de se retrouver seul avec sa Laguna. Elle le protégeait, le rassurait. Il devait s’éloigner sans se retourner. La sobriété de la Laguna lui permit d’atteindre Montpellier avec un seul plein. Il commençait à s’organiser pour la nuit en laissant une vitre légèrement entrouverte. Il avait aussi trouvé une couverture qu’il utilisait plus pour occulter le parebrise que pour se couvrir.
Un soir, en voulant s’isoler, il s’ensabla à l’entrée d’une plage et ne put s’en sortir qu’en forçant beaucoup sur l’embrayage ce qui provoqua une odeur très désagréable. C’était comme si la Laguna exhalait un parfum de mort. Sergio s’endormit en demandant pardon à la Laguna de l’avoir fait souffrir. Le lendemain, juste devant la voiture, il découvrit une douche que la nuit l’avait empêché de voir. Avec le bidon vide du liquide de refroidissement, il entreprit de transporter de l’eau pour laver la Laguna. Il voulait ainsi se faire pardonner. Il fit de nombreux aller-retours avec son petit bidon ce qui attira l’attention d’un policier municipal qui passait par là et qui le chassa poliment mais fermement. Il dût partir avant d’avoir pris lui-même une douche.
Le sac de pommes était terminé depuis longtemps et les quelques économies de Sergio diminuaient drastiquement. Il essaya de retirer un peu de liquide à un guichet de la poste, comptant sur son RSA, mais il déchanta vite. Il ne restait que dix euros. Sylvie avait été plus rapide que lui. Il retourna dans la Laguna et prit la route de Marseille.
Il trouva une place isolée dans le parking couvert d’une supérette. Il consacra le peu d’argent qui lui restait à acheter une chaufferette alimentée par l’allume cigare de la Laguna et un gobelet en métal. Il se dit qu’avec ça il pourrait toujours réchauffer une soupe ou de l’eau pour un café. Au matin il fut réveillé par un bruit inhabituel. On toquait à la fenêtre de la Laguna.
– Bonjour Monsieur, je suis le directeur du magasin. Que faites-vous sur mon parking ?
– B’jour. Je…je dormais !
– Oui, je vois bien. Vous n’avez pas un endroit où dormir ?
– Ben si, ma Laguna.
– Bon. Je comprends. Vous pouvez rester ici la nuit pendant deux mois, la journée, il faudra circuler. Si vous devez utiliser les toilettes du magasin, allez-y juste à l’ouverture et pour l’eau, il a un robinet dans les toilettes. Et au fait, interdiction de faire la manche devant le magasin. Bonne journée.
– Merci m’sieur.
Sergio était sonné. Le directeur avait parlé de faire la manche. Sergio, faire la manche. Mais il était en vacances, simplement en vacances. Enfin peut être que pour aujourd’hui il se risquerait à demander à deux ou trois passants une pièce, une cigarette, un ticket restaurant, un sandwich ou bien une bière…
Ce fut le meilleur moment du voyage de Sergio. Le confort dans la Laguna s’améliorait de jour en jour. Les poubelles sont pleines de ressources en ville ; des coussins, un vieux rideau, une planche qui faisait une table tout à fait acceptable trouvèrent place dans l’habitacle. Il avait même trouvé un parapluie presque neuf qui avait le double avantage de le protéger du soleil le jour, et de la pluie quand il laissait la fenêtre ouverte.
Le directeur revint de temps en temps saluer Sergio et vérifier que les consignes étaient bien respectées. Quelques jours avant l’échéance, il lui offrit un cadeau ; un carton plein de produits invendus. De quoi tenir quelques jours. Mais ailleurs.
Sergio reprit son chemin. Il buvait beaucoup de bières et passait de longues heures à dormir. Il finit par trouver un terrain vague où quelques tentes étaient dressées dans le plus grand désordre. Il gara la Laguna près de la sortie et tenta de se faire discret. Au matin alors qu’il s’était un peu éloigné pour soulager sa vessie pleine de la bière de la veille, il vit un homme s’approcher de la Laguna, se pencher à travers la vitre entrouverte et s’enfuir avec le sac de sport. Sans même prendre le temps de fermer son pantalon, il s’élança à sa poursuite et le rattrapa assez facilement. L’homme était de petite taille et pas très fort, mais il tenait à son butin et une bagarre s’ensuivit. Sergio eut le dessus assez vite mais un mauvais coup le fit tomber sur son poignet qui se brisa net. Le cri que poussa Sergio fit fuir le voleur qui lâcha le sac. Mais c’est depuis ce jour que Sergio porte un bandage souvent sale et mal attaché.
Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il errait à pied dans les rues de la ville. Sa Laguna avait rendu l’âme, victime d’un voyou qui avait versé du sucre dans le réservoir. Nous prîmes rendez-vous pour le lendemain, pour que je puisse lui porter quelques vêtements propres et un peu de soupe chaude. Il m’attendait nerveusement et regardait avec méfiance autour de lui.
– Qu’est-ce que je peux faire pour vous aider ? Dites moi, je verrais si c’est possible.
– Merci, ne vous inquiétez pas. Ma femme va bientôt arriver. Elle a de l’argent. Ça va aller. En ce moment elle cueille des pommes. Ensuite elle viendra me chercher.








