
TRANSMISSIONS
Recueil de nouvelles
Lu par Judith ZINS
JUDITH ZINS
Judith Zins se forme au conservatoire du 5ème arrondissement de Paris avec Bruno Wacrenier, puis à l’école du jeu.
Elle a écrit une poésie radiophonique « Viens » et une pièce « Nos Vices, prétexte pour parler d’amour », diffusées sur France Culture. Elle a également écrit deux pièces pour enfants »L’enfant imaginaire » (Espace 89) et « Il faut sauver Amour » (TNP de Lyon).
Elle joue également son Seule en scène “ LEHAïM , à la vie “ qu’elle a écrit , au théâtre de la flèche .
Au théâtre, elle joue dans « Baran, une maison de famille » de Alice Sarfati, prix jeune metteur en scène 2021 au Théâtre 13 et qui a été joué à la Manufacture lors du festival d’Avignon 2022 (coproduction ACME). En 2023 elle est dirigée par Tatiana Vialle dans un seule en scène autour de Marguerite Duras »Judith, Marguerite et la cuisine » avant de jouer dans « La Brande » de Alice Vannier, au TCI en janvier 2024.
Au cinéma elle joue dans de nombreux court métrages . Elle joue aussi à la télévision, sur Arte en 2023 dans « Le Horla » de Marion Desseigne ainsi que dans le long métrage « Elle & lui et le reste du monde » de Emmanuelle Belohradsky qui sortira très prochainement au cinéma !
Un modèle de chauffeur (texte)
UN MODELE DE CHAUFFEUR
Huit heures et quart. Christophe arrive en métro, rejoint le vestiaire des chauffeurs, retire son manteau et pose son chapeau sur la petite étagère en haut de son casier. Sa feuille de route est bien en place sur la porte ; « FX-777-CA. 9h30 – Préf. 12h00 – Castel. 15h – N. 16h30 – Ass. Nat. 20h30 – retour. »
FX-777-CA : aujourd’hui ça sera donc la DS 9 E.Tense Opéra hybride bleu foncé. Une merveille de technologie et de confort, qui n’oublie pas son ascendance puisqu’elle reprend quelques rappels visuels de son illustre ainée, la Citroën DS.
D’abord il vérifie la charge électrique, fait le plein de carburant puis lave entièrement la voiture. Extérieur et intérieur. Il garnit le bar d’une bouteille d’Orezza fraiche et de bonbons à la menthe ; ceux que Monsieur le Ministre préfère. Il faut trente-cinq minutes pour « lancer la machine » comme il dit. C’est largement suffisant avec une telle expérience. Dix ans de service au ministère de la Défense, puis à l’Intérieur et maintenant à la Transition Ecologique lui ont permis de connaître les voitures et les hommes.
604, XM, Safrane, 508, Espace, C5, et maintenant DS9 Hybride, Christophe aura pris le volant des plus belles voitures françaises. Il a vraiment beaucoup aimé la Citroën C5. Confortable, sûre, silencieuse, réputée impossible à garer, mais ce n’était pas vraiment un problème pour lui. Qui oserait mettre une contravention pour stationnement gênant à la voiture du Ministre ? Non vraiment, ça n’avait jamais été un problème.
Neuf heures vingt-huit. Il est au garde à vous devant une voiture impeccable. Il s’approche de la portière et la poignée affleurante s’ouvre pour accueillir le Ministre. Neuf heures trente. « Bonjour Monsieur le Ministre », « Bonjour Christophe » Il démarre en direction de la Préfecture de Paris. « Souhaitez-vous écouter de la musique ? » « Non merci. J’ai trois fiches à potasser. » C’est donc dans un silence quasi parfait que la limousine quitte le pavé de la cour, sur le boulevard Saint Germain pour vingt minutes de route.
Arrivé quai Branly, il retrouve Jean-Luc, chauffeur du Président de la Région. Il se connaissent depuis plus de vingt ans. Jean-Luc avait été pilote de rallye, mais un nombre incalculable de sorties de route l’avait décidé pour un pilotage plus « soft » Enfin, plus exactement, son écurie avait jugé raisonnable de lui proposer une reconversion. C’est à cette époque qu’ils ont travaillé ensemble comme chauffeurs de maître dans une multinationale. Quand il arrivait à Jean-Luc de conduire hors de Paris, il était souvent tenté de pousser un peu la mécanique, mais ses employeurs avaient été très clairs. « Vous payez vous-même pour les excès de vitesse et au bout de trois vous êtes viré » Depuis, cinquante en ville et cent trente maxi sur autoroute.
Christophe avait un tout autre rapport aux automobiles. Il les aimait pour leur histoire. Les innovations technologiques le passionnaient et l’esthétique des carrosseries le fascinait. Il ne manquait jamais un salon de Genève. Découvrir les plus beaux concepts cars du monde, admirer les voitures que peut-être il conduirait un jour, faisait de ce salon un rendez-vous quasi amoureux. Pour lui, une voiture est belle, intéressante, depuis sa naissance sur la planche à dessin de ces concepteurs. Il a une véritable passion pour les accessoires proposés en option ; les salons audios à douze haut-parleurs, les écrans vidéo aux places arrière, le bar réfrigéré dissimulé dans l’accoudoir central, les sièges arrière chauffant et massant, les commandes vocales, les éclairages intérieurs progressifs. Il aime la technologie tant qu’elle n’interfère pas avec son domaine d’expertise ; la conduite.
Onze heures cinquante-huit. Il attend « son » ministre à la porte de la somptueuse DS 9. Direction Castel, pour un déjeuner avec son homologue danois qui vient préparer la prochaine COP. Là, il est impossible de se garer mais comme c’est à deux pas du ministère, il est prévu qu’il rentre déjeuner au « bercail » comme il dit. Il sort de son casier une boîte en plastique qui contient un reste de pâtes à la bolognaise et une crème dessert praliné. Il en profite pour recharger la batterie de son portable. Celle de la DS9 n’en a pas besoin. Il aurait même le temps de faire une petite sieste, mais il préfère en profiter pour lire. Il vient de commencer les mémoires du chauffeur d’un ancien Président qui ne dit rien sur les voitures, sur le plaisir de conduire en souplesse dans les rues de Paris et sur les routes de France. C’est rempli de confidences, de révélations sur les maîtresses du Président, sur ses pratiques gastronomiques, ses rendez-vous médicaux. Christophe trouve ça indécent et hors de propos. De toute façon, il n’a jamais aimé ce « confrère » trop peu discret à son goût.
A propos de discrétion, il va être quinze heures. « 15h – N. » a-t-il lu ce matin sur la feuille de route. Pour lui, « N. » est seulement une adresse au nord de Paris. Monsieur le Ministre va lui demander de s’arrêter en route pour acheter un bouquet de fleurs « très parfumées » Mais Christophe ne sait pas qui est « N. » Une femme ? Certainement. Jeune ? Peut-être. Sa mère ? Pourquoi pas. Cela ne le regarde pas. Christophe ne veut rien savoir. Peut-être parce qu’il ne veut rien qu’on sache de sa vie. En attendant, il est comme un coq en pâte dans le siège de cette DS 9. Jusqu’à seize heures trente, il va pouvoir en profiter. Les sièges massant sont d’une efficacité incroyable. Et puis son kiné lui a dit que son métier était à risque, si on ne prenait pas quelques précautions. Le massage en est une.
A peine revenu de ce mystérieux rendez-vous, le ministre informe Christophe que la réunion à l’Assemblée nationale est annulée. Retour au Boulevard Saint Germain, dernière étape de cette journée ordinaire. La circulation devient vraiment dense et il se dit que c’est une chance d’être isolé du monde extérieur dans cet habitacle parfaitement insonorisé. « J’aimerais écouter Only the Lonely », Christophe utilise la commande vocale et aussitôt les quatorze haut-parleurs du système Hi Focal Electra donnent l’impression que le piano de Keith Jarrett est dans la voiture. Les basses profondes ne viennent pas assombrir les notes claires. C’est parfait. Il se dit que les applaudissements de la fin de l’enregistrement vont autant aux musiciens qu’à cette voiture tellement exceptionnelle. Christophe dépose le ministre dans la cour et va garer la DS.
Après avoir tout contrôlé Christophe retourne au vestiaire, se change et tout à la joie de ce temps libre décide de remonter les Champs Elysée. A mi-chemin entre la Concorde et l’Etoile il passe devant le magnifique bâtiment que Manuelle Gautrand avait conçu à la gloire de Citroën. Christophe nostalgique, se revoit y aller pour découvrir les merveilles de technologie inventées par la marque aux chevrons. C’est là qu’il a acheté les modèles réduits des voitures de fonction qu’il avait eu l’honneur de conduire. Mais la boutique est fermée depuis de longues années. Il va devoir commander sur le site web de DS un modèle réduit, bleu comme celle qu’il conduit en ce moment. C’est un modèle tout simple fabriqué par Norev au 1/18ème qu’il laissera dans sa boite de carton et de plastique.
Après trente minutes de métro, Christophe regagne son domicile.
Il accroche son manteau et son chapeau au perroquet de l’entrée, retire ses souliers et chausse une paire de pantoufles à carreaux.
Il y est accueilli par la voix de sa mère surprise de l’entendre rentrer si tôt. Ils vivent à Issy-Les-Moulineaux, place Paul Vaillant Couturier, à vingt minutes à pied des usines Citroën du quai de Javel où avait travaillé son père jusqu’à la fermeture, en mille-neuf-cent soixante-quinze. Christophe avait toujours entendu son père parler des usines « Javel » avec le sentiment confus de participer à glorieuse aventure de l’industrie automobile française. La prime de licenciement l’avait aidé à acquérir le Café Français qu’il avait exploité durant vingt ans, avant que ses poumons ne cèdent, ravagés par le tabac dont le café était imprégné jusqu’au moindre recoin.
La chambre de Christophe est un petit musée consacré
à l’automobile. Les murs sont couverts de plaques émaillées à la gloire des marques françaises, Citroën bien sûr mais aussi Renault, Peugeot, Panhard, Simca… des étagères croulent sous les prospectus publicitaires et catalogues de ces mêmes marques et deux grandes vitrines exposent des modèles réduits de toutes les tailles et toutes les couleurs. Celles qu’il a conduit pour des ministres sont dans une vitrine éclairée en bleu, blanc et rouge. Dans un cadre, juste au-dessus de son lit, trône un croquis de la DS 19, offert à son père par une employée du service dessin avec qui il aurait eu une aventure à son entrée à l’usine. Il est signé de Flaminio Bertoni, le designer de la mythique voiture ! Personne n’a jamais su comment elle l’avait obtenu, mais pour Christophe il est une sorte de talisman qui le protège.
Il prépare le repas dans la petite cuisine qui jouxte l’entrée et va ensuite chercher sa mère installée dans son fauteuil roulant devant la télévision de sa chambre. Au moment de passer à table, il lui explique qu’il aimerait bien acheter une voiture pour ne plus dépendre des transports en commun. Maintenant qu’il est autorisé à se garer dans le garage du ministère c’est plus facile.
Elle lui répond d’un air moqueur : « C’est une excellente idée mon fils, mais je crois que tu devrais d’abord passer le permis de conduire ? »
Lu par Bruno MANUEL
Voici une histoire vraie arrivée un beau dimanche d’été indien comme seule la Côte d’Azur en offre.
J’en suis l’un des personnage et cette histoire (très) courte est durablement inscrite dans ma mémoire et celle de mon épouse.
La rencontre (texte)
- LA RENCONTRE
Nous sommes au début des années 80 dans le sud de la France. Quelle belle journée ! On aurait pu se croire au terme de l’été alors que le mois d’octobre tirait déjà sur sa fin. Nous étions en famille ; mon épouse, nos deux premiers enfants encore très jeunes et moi-même, sur la côte d’azur, plus précisément à Bormes les Mimosas.
Partis le matin de la Ciotat, dans notre Fiat Panda noire flambant neuve, nous avions emprunté la route nationale pour rejoindre le Var puis la petite plage de Brégançon au pied du fameux fort. Totalement vide à cette période de l’année, elle est un formidable terrain de jeu pour les enfants. Après un pique-nique à l’ombre des pins, nous avions profité de l’une des nombreuses innovations de la Fiat Panda en installant la banquette arrière en position « hamac ». C’était idéal pour la sieste des petits.
Ensuite, direction le centre de Bormes Les Mimosas par la fameuse Route du Soleil qui serpente sur la colline au milieu d’arbres et de plantes méditerranéennes incroyablement variées. Nous voulions y arriver assez tôt pour assister au coucher du soleil, toujours spectaculaire depuis les hauteurs. Notre petite voiture se jouait des virages et semblait taillée pour l’aventure. Nous avons facilement trouvé une place au parking municipal et fait une longue promenade dans le village, ponctuée de quelques arrêts pour prendre des photographies. C’est très agréable de se trouver presque seuls dans un village habituellement envahi par les touristes ; On a l’impression d’y être chez soi. Nous étions donc hors du temps en cette fin de dimanche transformée en journée de vacances. Mais, tout ayant une fin, nous avons tranquillement regagné notre voiture.
Pour quitter le parking, il faut suivre un sens de circulation qui fait sortir les véhicules directement sur la route qui permet de rejoindre la route de Hyères. On entre d’un côté et on sort de l’autre. C’est simple et bien pensé.
Arrivés à la barrière automatique dans notre petite voiture noire, nous nous sommes retrouvés face à face avec une voiture à contre-sens qui tentait de rentrer par la sortie. C’était une Fiat Panda, comme la nôtre, mais blanche. Elle était conduite par une femme âgée. A sa droite, se trouvait un homme du même âge, alors que nous avions une vingtaine d’années et que je conduisais, mon épouse étant à mes côtés. Leur voiture était immatriculée dans la Haute Garonne donc 31 et la nôtre dans les Bouches du Rhône et donc… 13. Nos enfants étaient installés à l’arrière…eux étaient seuls.
En face de nous, il y avait un total « négatif photographique » de nous-même. Nous étions sidérés par cette vision. Ils ont semblé aussi très surpris et ont reculé pour nous laisser sortir.
Maintenant que nous avons les cheveux blancs et voyageons sans enfants, il nous arrive souvent de penser à cette étrange rencontre avec notre négatif ou peut-être notre image transportée par le temps.








